
Loi Girardin et succession : un “cadeau fiscal” transmissible… ou pas ?
Investir en loi Girardin, c’est souvent se dire : “Je défiscalise aujourd’hui, j’aide les DOM-TOM à se développer et je récupère ma mise dans quelques années.” Mais que se passe-t-il si vous décédez avant la fin de l’opération ? Vos héritiers récupèrent-ils un patrimoine net d’impôt… ou une bombe fiscale à retardement ?
La réponse est moins simple qu’on l’espère, mais la bonne nouvelle, c’est qu’avec un peu d’anticipation, la loi Girardin peut s’intégrer efficacement dans une stratégie globale de transmission.
Dans cet article, on va voir :
- comment fonctionne la loi Girardin (industriel et social) sur le plan fiscal
- ce qu’il se passe en cas de décès de l’investisseur
- les risques de remise en cause de l’avantage fiscal
- les bonnes pratiques pour protéger vos héritiers
Petit rappel : comment fonctionne la loi Girardin ?
La loi Girardin est un dispositif de défiscalisation destiné à soutenir l’économie et le logement dans les DOM-TOM (appelés aujourd’hui DROM-COM). Elle est encadrée principalement par :
- l’article 199 undecies B du Code général des impôts (CGI) pour le Girardin industriel
- l’article 199 undecies C du CGI pour le Girardin social
Le principe : vous investissez dans un projet situé outre-mer (logement social, matériel industriel, etc.) et, en échange, vous bénéficiez d’une réduction d’impôt immédiate, souvent supérieure à votre mise.
Concrètement :
- Girardin industriel : vous financez du matériel ou des équipements professionnels pour une entreprise en outre-mer (souvent via une société de portage de type SNC ou SAS). La réduction d’impôt s’applique l’année de la souscription.
- Girardin social : vous participez au financement de logements sociaux, via des sociétés civiles ou de portage. Réduction là encore en “one shot” (une seule fois).
En échange, vous devez respecter un engagement de conservation des parts ou de l’investissement sur plusieurs années (en général 5 ans minimum). Si les conditions ne sont pas respectées, l’administration peut reprendre tout ou partie de l’avantage fiscal.
Décès de l’investisseur : que dit la loi ?
Le décès est un événement particulier en fiscalité : il met fin à de nombreux engagements, à commencer par l’imposition à l’impôt sur le revenu pour l’année suivante. Mais qu’en est-il de l’engagement Girardin ?
Le CGI prévoit, de manière générale, que certains événements “subis” peuvent neutraliser les risques de reprise de la réduction d’impôt. Parmi ces cas figurent le décès du contribuable, sous certaines conditions.
Les textes de la loi Girardin ne sont pas toujours très explicites sur la succession, mais on applique par analogie les principes généraux posés pour les autres dispositifs de réduction d’impôt (par exemple pour la loi Pinel ou le dispositif Malraux), ainsi que la doctrine administrative (BOFiP).
En pratique, trois questions clés :
- la réduction d’impôt déjà obtenue est-elle remise en cause en cas de décès ?
- les héritiers doivent-ils respecter l’engagement de conservation ?
- que deviennent les parts et les droits dans la société Girardin ?
Réduction d’impôt acquise : un avantage (souvent) définitivement conservé
Lorsque vous faites un Girardin, la réduction d’impôt est acquise dès l’année de l’investissement, sous réserve que les conditions soient remplies pendant la durée légale (notamment l’exploitation du matériel ou des logements, et la conservation des titres).
En cas de décès :
- si le décès intervient après que l’administration a validé la réduction (autrement dit, après l’année d’imputation), il est rare que celle-ci soit remise en cause uniquement en raison du décès
- en revanche, si le décès survient très tôt, par exemple quelques mois après la souscription, la situation est plus technique : il faudra analyser si l’engagement de conservation peut être considéré comme “poursuivi” par les héritiers ou s’il est réputé respecté en raison de la survenance du décès
La doctrine fiscale admet, dans plusieurs dispositifs, que le décès n’entraîne pas de reprise de la réduction d’impôt, à condition que l’événement ne soit pas utilisé pour contourner les règles (par exemple, une vente organisée masquée sous un décès simulé – cas extrême mais théorique).
En pratique, les montages Girardin de qualité sont souvent sécurisés contractuellement : l’opérateur anticipe ces situations dans les statuts ou la documentation, afin de limiter le risque pour les héritiers.
Les parts Girardin transmises aux héritiers : un actif pas comme les autres
Juridiquement, les parts ou droits que vous détenez dans la structure Girardin (souvent une SNC, SAS ou société civile) entrent dans l’actif successoral. Elles sont donc soumises :
- aux règles civiles de la succession (Code civil, articles 720 et suivants)
- aux droits de succession (articles 750 ter et suivants du CGI)
Ce que vos héritiers reçoivent réellement :
- des parts dans une société qui détient du matériel ou des logements en outre-mer
- un actif dont la valeur économique est souvent limitée, car la plupart des montages Girardin sont conçus pour être “à fonds perdus” : vous gagnez sur l’impôt, pas sur la revente
Autrement dit : ils héritent d’un actif plus “fiscal” qu’économique. La réduction a déjà été encaissée par le défunt, mais les parts sont encore en vie…
Engagement de conservation : vos héritiers sont-ils bloqués ?
Dans un Girardin, vous vous engagez en général à conserver vos parts pendant une durée minimale (souvent 5 ans, parfois plus selon les montages). Que se passe-t-il si ces parts sont transmises par succession ?
Trois cas de figure à distinguer :
- Les héritiers conservent les parts jusqu’au terme : c’est le cas le plus simple et le plus sécurisé. L’engagement de conservation est considéré comme poursuivi, aucune remise en cause de la réduction ne devrait intervenir, sauf manquement lié à l’exploitation du bien (par l’exploitant ou le bailleur social).
- Les héritiers souhaitent céder rapidement les parts : là, le risque est réel. Une cession prématurée peut théoriquement entraîner une reprise de la réduction d’impôt. En pratique, certains montages prévoient des clauses de rachat ou des aménagements spécifiques en cas de décès, à vérifier dossier par dossier.
- Les statuts prévoient une dissolution ou un rachat forcé en cas de décès : dans ce cas, la question de la reprise de l’avantage fiscal doit avoir été anticipée par le monteur. Les opérations sérieuses le font, en s’appuyant sur les tolérances admises par l’administration.
En résumé : pour vos héritiers, l’idéal est souvent de ne pas toucher aux parts Girardin jusqu’à la fin de la durée d’engagement, sauf conseil contraire de l’opérateur ou du conseiller fiscal.
Le risque de reprise de la réduction d’impôt : à ne pas sous-estimer
L’article 199 undecies B du CGI est clair : si les conditions de l’investissement Girardin ne sont plus respectées (fin prématurée de l’exploitation, cession avant terme, etc.), la réduction peut être reprise par l’administration fiscale.
En cas de décès, les risques de reprise peuvent venir de :
- la cession trop rapide des parts par les héritiers
- la dissolution anticipée de la structure qui porte le projet
- un défaut d’exploitation du matériel ou du logement (qui peut être indépendant du décès, mais se cumule à la complexité successorale)
Si l’administration décide une reprise, elle réclamera la réduction d’impôt indûment conservée, parfois majorée d’intérêts de retard. La question clé : qui paie ?
En principe, c’est la succession qui supporte la dette fiscale. Mais si celle-ci est réglée tardivement, les héritiers peuvent se retrouver confrontés à une régularisation plusieurs années après, alors que la succession est déjà liquidée.
Comment sécuriser la transmission d’un investissement Girardin ?
Bonne nouvelle : il est tout à fait possible d’intégrer la loi Girardin dans une stratégie patrimoniale globale, y compris en pensant à la succession. L’important est d’anticiper, pas d’espérer que “ça passera”.
Quelques bonnes pratiques :
- Choisir un opérateur solide : privilégiez les montages portés par des spécialistes reconnus, avec assurance “risque fiscal” et documentation claire sur la gestion en cas de décès. Demandez systématiquement :
- comment sont traités les cas de décès dans les statuts
- si la réduction d’impôt est couverte par une assurance spécifique
- quelles sont les conséquences pour les héritiers
- Informer vos héritiers : ils doivent savoir que vous détenez des parts Girardin, où, avec qui, et quelles sont leurs obligations. Un simple investisseur silencieux peut créer une belle usine à gaz au moment de la succession.
- Documenter dans votre dossier patrimonial :
- copies des bulletins de souscription
- statuts de la société d’investissement
- attestations fiscales
- coordonnées de l’interlocuteur principal (opérateur, conseiller, CGP)
- Éviter de multiplier les opérations Girardin tard dans la vie sans analyse successorale : passé un certain âge ou en cas de santé fragile, il peut être pertinent de privilégier d’autres dispositifs fiscaux moins complexes à gérer pour les héritiers.
- Vérifier la cohérence avec votre régime matrimonial et vos donations : si vous êtes marié, en communauté ou non, ou si vous avez déjà fait des donations, il peut être judicieux d’articuler l’investissement Girardin avec ces éléments, pour éviter un déséquilibre entre héritiers.
Girardin et optimisation successorale : outil pertinent ou gadget fiscal ?
La loi Girardin reste avant tout un outil de défiscalisation sur le revenu. Sa vocation première n’est pas la transmission, mais la réduction immédiate d’impôt. Pourtant, elle peut s’intégrer intelligemment dans une stratégie patrimoniale :
- en réduisant votre impôt sur le revenu, vous libérez de la trésorerie pour :
- mettre en place des assurances-vie (article 990 I du CGI) plus favorables en cas de décès
- effectuer des donations de liquidités dans le cadre des abattements légaux (articles 779 et suivants du CGI)
- vous pouvez, dans certains cas, organiser une stratégie “Girardin + assurance-vie” où l’avantage fiscal immédiat sert à financer des supports transmissibles dans un cadre fiscal très favorable.
Autrement dit : le Girardin n’est pas un outil de transmission en soi, mais il peut être le levier financier qui vous permet de renforcer votre stratégie successorale.
En pratique : que faire si vous avez déjà un Girardin ?
Si vous avez déjà investi en loi Girardin et que vous vous interrogez sur l’impact pour vos héritiers, quelques actions simples peuvent être mises en place :
- Faites un point avec votre conseiller (ou un avocat fiscaliste) sur :
- la date de fin d’engagement
- les risques éventuels en cas de décès prématuré
- les documents à conserver pour vos héritiers
- Clarifiez les clauses de vos contrats : demandez à l’opérateur une note écrite expliquant la gestion des cas de décès et de succession.
- Actualisez votre dossier patrimonial : mentionnez clairement les coordonnées de tous les interlocuteurs liés à l’opération.
Et si vous envisagez un premier Girardin, posez-vous la question non seulement : “Combien je vais économiser d’impôt ?” mais aussi : “Que se passera-t-il pour mes proches si je ne suis plus là pendant l’opération ?”. Une défiscalisation réussie, c’est une opération qui tient dans le temps… même au-delà de votre propre horizon.
